L'arrêt des expansions CAG : nouveau traitement pour la maladie de Huntington ?

Le gène MSH3 suscite récemment beaucoup d’attention dans le cadre de la recherche MH. De nouveaux résultats suggèrent que la réduction de la protéine MSH3 pourrait stopper les expansions de répétitions CAG, offrant ainsi une nouvelle voie thérapeutique.
Mis en ligne le 31 octobre 2023 


Un article récent publié par un groupe de la faculté de médecine d’UMass Chan, dirigé par le Dr. Daniel O’Reilly et le Dr. Anastasia Khvorova, ont utilisé des stratégies génétiques pour diminuer une protéine autre que celle de la huntingtine. Cette fois, les chercheurs se sont attaqués à un gène appelé MSH3. Il s’agit d’un gène qui a récemment retenu beaucoup d’attention dans le cadre de la recherche sur la MH. Alors, pourquoi tout ce battage médiatique ? Et, cela signifie-t-il que nous avons abandonné la diminution de la huntingtine ?

   Le bégaiement CAG

L’une des découvertes les plus intéressantes de la recherche MH ces dernières années a été une chose que l’on appelle « instabilité somatique », également parfois appelée « expansion somatique ». Cela fait référence à l’expansion perpétuelle de la répétition CAG dans les cellules « somatiques », ou cellules de l’organisme. Vous pouvez penser à cela comme un bégaiement moléculaire de CAGs dans le gène huntingtin.

Cette expansion continue ne se produit cependant pas dans toutes les cellules. La répétition CAG apparaît assez stable dans certaines cellules et tissus, comme le sang. Cela signifie donc que si quelqu’un réalise le test génétique avec son sang à l’âge de 18 ans, le nombre de répétitions CAG sera très vraisemblablement le même à l’âge de 50 ans, et restera inchangé tout au long de sa vie. Toutefois, certaines cellules semblent acquérir des répétitions CAG tout au long de la vie. Ces cellules ont tendance à être précisément celles qui sont le plus vulnérables dans le cadre de la MH, les cellules cérébrales.

En 2003, le Dr. Peggy Shelbourne a réalisé des travaux révolutionnaires en utilisant des échantillons de cerveaux, généreusement donnés par les personnes décédées de la MH. Ses travaux ont montré que des zones spécifiques du cerveau présentent des expansions massives de CAG – jusqu’à 1 000 répétitions CAG ! Ces personnes ne sont certainement pas nées avec des répétitions CAG aussi importantes, ce qui signifie qu’elles ont été acquises au cours de leur vie.

Plus intéressant, la zone cérébrale qui présente ces expansions massives de répétitions CAG était également celle la plus vulnérable dans le cadre de la MH – une région appelée le striatum. Pendant de nombreuses années après cette découverte, la manière dont ces expansions survenaient n’était pas claire, pas plus que cela signifiait pour l’évolution de la MH.

   Qu'est-ce qui contrôle l'âge d'apparition de la maladie ?

Puis, en 2015, un autre article révolutionnaire a été publié, cette fois par le Consortium sur les modificateurs génétiques de la maladie de Huntington (GeM-HD). Il s’agissait d’une vaste étude portant sur  l’ensemble de la composition génétique d’environ 4 000 personnes atteintes de la MH, ce qui a donné aux chercheurs de très nombreuses données, l’échantillon d’informations génétiques le plus riche que le monde ait jamais eu sur des individus porteurs du gène MH.

Le consortium GeM-HD s’était intéressé à essayer de trouver de petits changements génétiques susceptibles de contribuer au moment où une personne commence à présenter, tôt ou tard, des symptômes MH – gènes qu’on appelle des « modificateurs génétiques ». L’identification de variantes modifiant l’âge d’apparition des symptômes pourrait révéler des cibles thérapeutiques.

Ce que le consortium a découvert a époustouflé tout le monde. Les gènes modificateurs qui modifient l’âge d’apparition des symptômes sont quasiment tous impliqués dans un seul processus biologique ! La découverte de modificateurs regroupés, comme celui-ci, était complètement inattendue mais également incroyablement révélatrice. Les gènes sont impliqués dans un processus appelé la réparation de l’ADN.

   Les correcteurs moléculaires

Les protéines sont les machines moléculaires qui font fonctionner nos cellules, et elles sont produites grâce aux messagers génétiques, ARn, qui, à leur tour, sont créés à partir de notre ADN. Chaque fois qu’une nouvelle protéine doit être produite ou réactualisée, des erreurs sont possibles dans le processus. Les molécules de réparation de l’ADN sont des correcteurs qui vérifient les erreurs. Afin de s’assurer qu’il n’existe aucune erreur dans ce processus de traduction de l’ADN en protéine, ces correcteurs moléculaires (alias molécules de réparation de l’ADN) contrôlent ce message.

Parfois, il existe des petits changements dans les gènes de réparation de l’ADN qui entraînent un meilleur ou un plus mauvais fonctionnement de ceux-ci. De très bons gènes de réparation réalisent un excellent travail de relecture du gène huntingtin, de sorte qu’aucune erreur n’est commise lors de la production de la protéine, et que la taille des répétitions CAG reste stable. Mais, les gènes de réparation de l’ADN enclins à commettre des erreurs lors de la relecture peuvent perdre la trace du nombre de CAGs à traduire, ce qui peut signifier que des erreurs passent, augmentant la longueur de la répétition CAG au fil du temps.

L’étude du consortium GeM-HD a montré que certaines personnes présentaient de minuscules différences génétiques qui faisaient probablement de leurs gènes de réparation de l’ADN de meilleurs correcteurs, conduisant à l’apparition plus tardive des symptômes. Cette découverte a finalement ajouté une certaine perspective aux travaux du Dr. Peggy Shelbourne, reliant les gènes de réparation de l’ADN à l’expansion somatique observée dans le cerveau des personnes décédées de la MH. Les chercheurs demeurent très enthousiastes  car cela suggère que si on peut contrôler l’expansion de la répétition CAG, on serait peut-être en mesure de retarder l’apparition des symptômes MH.

Le contrôle du bégaiement CAG par le ciblage de la protéine MSH3

Les scientifiques ciblent désormais les gènes de réparation de l’ADN dans divers animaux modélisant la MH. Un gène intéressant : le gène MSH3. HDBuzz a récemment publié un article au sujet de MSH3, ses partenaires moléculaires et leur implication dans l’expansion CAG. MSH3 relit le type de structure génétique créée par les répétitions CAG. Les scientifiques ont réussi à bloquer l’expansion des répétitions CAG en réduisant les taux de MSH3. Ils ont utilisé des méthodes génétiques similaires à celles utilisées pour diminuer la huntingtine.

Aux termes d’une publication récente, les travaux menés par le Dr. Khvorova ont maintenant franchi une nouvelle étape, en déterminant si, chez des souris modélisant la MH, l’inactivation de MSH3 avec un médicament a le même effet que la manipulation génétique. Leur médicament délivre un petit morceau du matériel génétique qui cible et désactive MSH3 dans le cerveau. Plus passionnant, ils ont découvert qu’une unique dose de leur médicament ciblant MSH3 administrée dans le cerveau peut bloquer l’expansion des répétitions CAG jusqu’à 4 mois chez divers modèles murins MH.

Bien que le potentiel d’un médicament bloquant l’expansion somatique soit passionnant, les auteurs reconnaissent la nécessité de mener davantage d’études sur l’innocuité  avant que leurs médicaments ciblant MSH3 puissent être administrés chez l’homme. Cette nouvelle étude montre que leur médicament cible uniquement la molécule messager MSH3, épargnant les autres gènes. Toutefois, des études complémentaires sont nécessaires afin de déterminer si d’autres gènes de réparation de l’ADN sont affectés au niveau protéique. Ils notent également l’importance d’études à long terme sur l’innocuité afin de s’assurer que leurs médicaments n’engendrent pas d’effets dommageables sur les cellules cérébrales. Des expériences de suivi seront également nécessaires afin de déterminer si la réduction de l’instabilité somatique améliore les symptômes de type MH chez les souris.

   Elargir les cibles

Même si d’autres cibles, comme MHS3, sont les bienvenues dans la conquête contre la maladie de Huntington, cela ne signifie pas que la huntingtine est abandonnée en tant que cible. On sait, sans aucun doute, que la cause unique de la MH réside dans le gène huntingtin. Il est donc toujours logique de concevoir des médicaments qui s’attaquent à la cause profonde de la maladie. Dans cette optique, les essais menés par les sociétés Roche, Wave Life Sciences et Vico Therapeutics pour tester leurs médicaments diminuant la huntingtine se poursuivent.

Si les expériences chez les souris, ciblant MSH3 réussissent, disposer cependant de thérapies combinatoires s’attaquant à la cause profonde de la maladie tout en bloquant l’expansion des répétitions CAG pourrait être le double coup de pouce nécessaire pour la MH. On entendra, sans aucun doute, beaucoup plus parler des gènes de réparation de l’ADN (les relecteurs moléculaires) dans le cadre de la recherche MH, et on assistera probablement dans un avenir proche à des essais ciblant les expansions CAG.

Traduction Libre (Dominique C . - Michelle D.)

Source :   - Article du Dr Sarah HERNANDEZ du 5 octobre 2023